La question de l’échelle idéale d’intervention est souvent appréhendée à travers des périmètres administratifs (Région, Département, EPCI, Commune). Il paraît intéressant de reconsidérer cette échelle de diverses autres manières.
Il est possible de l'appréhender à partir des habitant·e·s ; à l’image du bassin de vie qui prend en compte les services, commerces, équipements de proximité, ou encore du bassin d'emploi. Il est également possible d’envisager l’espace tel qu'il est vécu en tenant compte des représentations auxquelles il fait appel, comme les anciens "pays" ou terroirs.
La question des échelles renvoie également à la capacité des territoires à répondre ou accueillir la démarche engagée. Dans une démarche de transition, un nombre suffisant d’acteurs est nécessaire pour qu’une réelle action soit possible. Dans un contexte rural, l’échelle du département apparaît plus pertinente alors qu’en milieu urbain, une plus grande densité d’acteurs impliqués permettrait de réduire l’échelle d'intervention à la commune, voire la zone d’activité.
L’échelle d’intervention idéale doit donc être évaluée ou appréciée en fonction des caractéristiques du territoire en question, à savoir :
s’il on est dans un milieu rural ou urbain
dense ou peu dense
sur un territoire à vocation agricole, industrielle ou résidentielle
Un moyen de définir ou d'aider à la décision du choix de ce périmètre pourrait être la notion de métabolisme territorial (Sabine Barles). Il consiste à considérer les territoires comme des organismes vivants et invite à comprendre ce qui lie les territoires à travers des flux entrants et sortants. Cette notion peut éclairer le choix du périmètre d’action.
“Les exploitations agricoles ne connaissent pas de frontières administratives et les contours de l’exploitation ne correspondent pas forcément aux périmètres administratifs” (Alioune DABO, doctorant CIFRE de l’Agence des espaces verts d’Ile-de-France).
La compilation des projets étudiés fait apparaître de nombreux cas de figure. Il semble que, à tous niveaux, le bon acteur n’existe pas. Tous les acteurs voulant prendre part à la transition sont de bons acteurs. En effet, la volonté de faire transition semble le critère le plus important quelque soit l’acteur qui s’empare du sujet. Le bon acteur porteur de transition est surtout un bon leader, capable de porter un projet et d'impliquer ses partenaires.
Cet expérientiel fait d’ailleurs figurer une multitude de configurations d’acteurs. La plupart des systèmes d’acteurs sont hybridés entre les différentes sphères politico-administratives, économiques et socioculturelles.
Le projet de la transition peut être partagé entre des acteurs aussi différents et nombreux soient-il : il ne s’agit pas de figer le système d’acteurs mais au contraire d’intégrer ceux nécessaires ou compétents au moment opportun, de savoir aller chercher qui il faut quand il faut.
Ceci implique certes une complexification du système d’acteurs et des temporalités, mais qui sert l'objectif et répond à un besoin.
L’implication des acteurs et le choix des partenaires dépendent de deux (2) critères :
Leur capacité à agir dans le contexte territorial
Leurs compétences, connaissances du sujet de la démarche
=> Le système d’acteurs dépend du projet et une complexification de ce système ne doit pas freiner les parties prenantes. Le Mode Projet permet de s’affranchir des barrières mentales entre acteurs au profit d’une coopération intelligente entre les différentes parties prenantes.
Les acteur·ice·s privé·e·s (entreprises, associations, mouvements citoyens, etc.) peuvent être à l’initiative d’une démarche interterritoriale ou y être associés. Lorsqu’ils sont porteurs, ils font face à différents positionnements des acteur·ice·s institutionnel·le·s : en faveur, contres ou encore indifférents.
Des acteur·ice·s privé·e·s font interterritorialité dès lors qu’ils agissent ensemble au croisement de leurs périmètres d’action (sites, communes, départements ou régions). Comment reconnaître cette situation ? Le meilleur moyen est d’abord de se demander : est-ce que ces acteur·ice·s sont territorialisé·e·s ? Si oui, le sont-ils au sein du même territoire d’action ? Dans ce cas, on ne parle pas d’interterritorialité mais plutôt de coopération au sein d’un même territoire.
S’ils ne s’inscrivent pas dans un même territoire d’action, il est possible de dire qu’ils coopèrent sur un nouveau territoire issu de la coopération inter-territoriale. Dans cette situation, il s’agit bien d’interterritorialité. Bien souvent, les acteur·ice·s privé·e·s font de la coopération interterritoriale "sans le savoir", et ces liens faibles en apparence peuvent avoir une grande force et même influencer les autres sphères.
Une des limites à dépasser pour les acteur·ice·s privé·e·s dans le cas où l’interterritorialité est portée par un acteur politique peut être la question des intérêts particuliers qui peuvent freiner ou rendre difficile l’interterritorialité. L’enjeu est de dépasser la question des intérêts individuels pour accepter une configuration interterritoriale et passer de la concurrence à la coopération en retrouvant des intérêts communs:
Pour les entreprises, la logique d’intérêt privé (que ce soit en termes de bénéfices directs ou indirects, ex. image).
Pour les associations et autres représentant·e·s de la société civile, les valeurs à défendre et les intérêts des personnes représentées.
Le citoyen comme entité individuelle ne peut être impliqué dans un processus de transition seul. Parler d’interterritorialité à l'échelle individuelle n’a pas de sens, puisque des actions individuelles relèvent d'initiatives personnelles hors institutions (choix de consommation, etc.). Des actions individuelles en faveur de la transition sont donc possibles mais elles ne s’inscrivent pas directement dans une démarche d'interterritorialité. Les citoyen·ne·s que l’on écoute sont les citoyen·ne·s qui se sont regroupé·e·s et constitué·e·s en une entité qui les représente. Pour peser dans les processus de décision dans une démarche de transition et d’interterritorialité, la participation citoyenne doit faire partie d’un cadre collectif défini : association, SEM, SAS, etc.
Le partage des compétences et de connaissances semble pourtant essentiel pour faire groupe et créer des dynamiques communes de transition. Aujourd’hui pour prendre part à l’Interterritorialité et à des processus de transition, le citoyen doit rejoindre une structure qui permet d'avoir une personne morale ou juridique, un cadre reconnu. Il peut aussi parfois être sollicité par une institution dans le cadre de démarches de participation citoyenne, mais cela reste très, trop, occasionnel.
La participation citoyenne apparaît facilitée dans les associations dans lesquelles l’individu prend part de manière plus directe que dans des institutions particulièrement normées. Celles-ci lui laissent en effet peu de pouvoir décisionnel ou consultatif.
Et pourtant, pour beaucoup, la transition doit se faire sans institutionnalisation. Les citoyens veulent accélérer la transition par rapport aux démarches institutionnalisées qu’ils jugent trop longues, fastidieuses et inefficaces.
Dans l’accomplissement d’un projet de transition (mise en œuvre et évaluation), un espace de réel dialogue est à créer entre tous les acteur·ice·s. A ce titre, éviter une hiérarchie fixe (avec un acteur porteur du projet et d’autres acteurs qui s’insèrent dans la démarche sans prendre part aux décisions) apparaît comme indispensable et pourtant difficile à mettre en place.
Ceci peut par exemple s’observer à l’échelle des métropoles dont les villes centres apparaissent parfois comme des méga-structures imposant leur modèle et leurs orientations au détriment des intérêts de leur périphérie. A ce titre, il est possible de suggérer de prendre davantage en compte les questions de réciprocité de la part des différentes parties prenantes qui s’associeraient malgré leurs différences de taille, de pouvoir et d’images. Ceci afin de dépasser l’image de la métropole surplombante et de basculer du rapport de force vers un modèle plus inclusif, apaisé, de la métropole qui agit avec ses voisins.
Il semble en effet important que les différents acteur·ice·s échangent sur la question du gain qu’ils ont à coopérer. L’idée étant que chaque partie prenante y trouve son compte et génère des bénéfices (économiques, écologiques, etc.), que chacune enrichisse ses connaissances et savoirs-faire afin de dépasser des possibles lacunes individuelles.
En outre, un bon moyen de garantir un dialogue sain et efficace repose sur la question financière et sa transparence entre les différentes parties prenantes de la démarche. Chacun doit trouver un intérêt à prendre part à l'interterritorialité mais doit également se sentir en confiance.
Aujourd’hui, au vu de cet expérientiel, une forte volonté politique (des acteur·ice·s institutionnel·le·s agissant sur les territoires en question) de coopérer apparaît également essentielle pour garantir le soutien et la pérennité d’une démarche d’interterritorialité.
Un modèle de référence n’existe pas mais il est possible de dégager plusieurs typologies de modèles :
Parfois l’héritage (contexte historique, géographique ou institutionnel) a créé un terreau de la culture de l’interterritorialité. L’interterritorialité ne se matérialise pas davantage grâce à un enjeu de transition. Elle existe déjà, elle n’est pas créée ex nihilo. Les actions de coopérations formelles ou informelles de longue ou courte durée font que les acteurs ont plus ou moins de facilité / sont plus ou moins habitués à travailler ensemble. Une des limites à ce modèle : le risque est d'entériner dans un système d’acteurs au détriment de nouvelles participations potentielles.
Parfois le choix de coopérer est imposé aux parties prenantes par la situation : on ne peut pas agir sans s’associer, que ce soit par manque de moyens financiers, humains, compétences, savoirs, etc. donc on s’associe.
Parfois l'interterritorialité est subie par une ou plusieurs parties prenantes. Dans certains cas, elle est imposée par les lois, les institutions et une hiérarchie administrative qui ne laisse pas le choix de la participation aux projets dits de transition. Il est alors question de savoir si imposer une interterritorialité, même dans un objectif de transition, est éthique, voire si elle crée vraiment une dynamique de transition. La transition n'est-elle pas également une opportunité de changement dans la façon de gouverner ? Il existe des modèles alternatifs comme la sociocratie qui propose une autre vision de ce qu’est le pouvoir, en s’appuyant sur de nouvelles pratiques managériales.
Il est bien sûr souhaitable que toute interterritorialité soit choisie en amont par ses parties prenantes mais il s’avère que l’envie de coopérer puisse aussi advenir avec le temps, une fois que les parties prenantes ont saisi ce qu’elles avaient à y gagner.
=> Il semble que la coopération la plus harmonieuse et durable soit celle qui s'appuie sur un récit, une culture commune, territorialisée ou non. Ce socle initial perdure dans le temps et permet à une initiative de se pérenniser, et même d'évoluer au fil de l'apparition de nouvelles contraintes ou opportunités. Les valeurs initiales restent et continuent de fédérer l'action.
Non, la transition n’est pas forcément déclenchée par l'interterritorialité. En revanche, elle peut être source d’accélération, dans le sens de l’efficacité de cette transition, et favoriser sa mise en œuvre. S’il est vrai qu’elle peut ralentir la démarche (temps d’échanges, de conciliation) et complexifier le système d’acteur·ice·s, elle permet toutefois d’accroître son ampleur et son efficacité. Un temps supplémentaire qui s’avère donc bénéfique in fine.
De nouveaux métiers, de nouvelles compétences, issus des dynamiques d'interterritorialité en faveur de la transition ont vu le jour ou se sont intensifiées. En effet, des systèmes de dialogue issus des dynamiques d'interterritorialité se sont mis en place pour faciliter les échanges et permettre la réalisation des projets et actions initiés entre les acteur·ice·s concerné·e·s. Ces nouveaux métiers du lien, nouvelles compétences de médiation, apparaissent essentiels pour mener les projets de transition dans un contexte interterritorial qui rassemble des acteurs variés. Un manque de moyens et financiers dédiés à cette fonction est en revanche souvent constaté du fait d’une faible conscience ou prise en compte de ces enjeux.
Pour pérenniser une démarche de transition, la tentation est de l’institutionnaliser. Il est vrai que les actions ont besoin d'être reconnues dans un souci de légitimation (ce qui peut avoir lieu via la réponse à un appel à projets). Cependant, l’institutionnalisation a tendance à segmenter l’action et à imposer un cadre administratif, légal et temporel qui peuvent rendre les projets de transition dépendant de normes nouvelles et parfois dogmatiques. Celles-ci peuvent restreindre les démarches initiales d’un projet de transition à l’échelle interterritoriale.
Certains groupes de citoyen·e·s pensent que la démarche de transition est trop longue et fastidieuse si elle est institutionnalisée et souhaitent une transition “par le bas”. Or un cadre institutionnel s’avère aujourd’hui indispensable pour que les démarches se concrétisent : un citoyen qui s’inscrit seul ou de manière indépendante dans une démarche de transition peinera à mettre en place son action si celle ci n’est pas reconnue, légitimée (institutionnalisée d’une manière ou d’une autre) et portée par le territoire. Cependant, les premiers engagements pris à travers des actions à petite échelle engendrent souvent un effet d’entraînement non négligeable qui peut attirer l’attention d’abord, puis la confiance collective pour engager une démarche plus institutionnalisée.
=> Si des initiatives citoyennes peuvent exister pour elles-mêmes, un cadre institutionnel peut fournir un portage politique, un cadre réglementaire, ainsi qu’un ensemble de repères formalisés, et assure une sécurité de l’action. Toutefois, certaines actions se déploient sans cadre institutionnel et se légitiment d'elles-mêmes : des initiatives d’acteur·ice·s hors institutions qui peuvent provoquer leur approbation ou désapprobation.
Conclusion
> Il semble que la condition pour que la transition ait lieu soit la rencontre entre les initiatives de terrain et les ambitions institutionnelles, sans quoi les projets n’aboutissent pas ou restent à petite échelle. L’interterritorialité, de par l’efficacité d’action qu’elle propose, peut permettre de répondre à cette condition.
> Mais cette coopération interterritoriale ne se décrète pas, elle se développe. D’où la nécessité de faciliter les conditions de coopération, sur le temps long.
> Des structures, outils, et dispositifs de suivi de l’engagement interterritorial restent donc à continuer d’imaginer et d’organiser. Ceux-ci doivent permettre de soutenir celles et ceux qui s’engagent, de créer les conditions de coopération, et de promouvoir une culture d’échange au-delà d’un même territoire.
> Les démarches de transition s’évaluent également dans la durée. De tels dispositifs permettent de dépasser la logique du livrable à court terme et de créer une culture de processus ancrée dans le temps long.